Alors qu’on attendait un texte qui devait définitivement arrimer le Groupe Multipartite du Cameroun (le Comité) à la Norme ITIE, le Décret du Premier Ministre du 17 juillet 2018 portant création, organisation et fonctionnement du Comité de suivi de la mise en œuvre de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives a plutôt suscité des interrogations sur le niveau de maîtrise, voire d’adhésion du Cameroun à l’esprit à la lettre de la Norme.
Après analyse minutieuse du Décret N° 2018/6026/PM du 17 juillet 2018 portant création, organisation et fonctionnement du Comité de suivi de la mise en œuvre de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives au Cameroun, les organisations de la société civile sous l’impulsion de la Coalition Camerounaise Publiez Ce Que vous Payez (CCPCQVP) ont dégagé quatre principaux points d’insatisfaction qui méritent d’être relevés.
- La violation de l’exigence relative à l’indépendance et l’autonomie des collèges, principalement l’autonomie du collège de la société civile. Le Décret désigne en son article 4 (D) et ce de façon unilatérale certains participants au collège de la société civile, sans mention de l’obligation pour les membres siégeant au Comité d’établir des contacts avec le collège élargi. Cette désignation de certaines organisations de la société civile dans le Décret est une violation flagrante de l’exigence 1.4(a)(ii) de la Norme qui précise que « …Chaque partie prenante doit avoir le droit de nommer ses propres représentants, en gardant à l’esprit les avantages que présentent le pluralisme et la diversité en matière de représentation. Le processus de nomination doit être indépendant et libre d’interférences ou de coercition ». Logiquement, en application de la Norme ITIE, les OSC doivent désigner leurs mandataires qui siègent au Groupe multipartite à travers le Protocole de la Société Civile.
- La dilution de la communication
L’ITIE repose essentiellement et de plus en plus sur la communication. Malheureusement, le Décret du PM N° 2018/6026/PM du 17 juillet 2018 inscrit cette composante dans une position marginale, en la reléguant en une action support à l’ITIE. Le positionnement dans l’Unité de Gestion Administrative, singulièrement en un seul employé « responsable de la communication et de la Sensibilisation », (Cf. Article 13 du Décret) augure davantage d’une logique favorisant l’information et au meilleur des cas la communication institutionnelle devant faire du Secrétariat Permanent un prolongement des pouvoirs publics. Ce qui est en contradiction avec l’esprit de la Norme ITIE à l’heure de la recherche des résultats et impact (Cf. Exigence 7) de la mise en œuvre de l’ITIE. Et ce d’autant plus que la Communication ITIE est surtout celle des différents Collèges à la mise en œuvre de l’ITIE. C’est tout cet ensemble qui est évalué au moment de la Validation par les instances internationales de l’ITIE. Dans une interview accordée au quotidien gouvernemental Cameroon Tribune, le ministre des Finances, Louis Paul Motazé, soutenait en personne que le Cameroun va poursuivre la mise en œuvre de son plan de travail pour la période 2017-2019 à savoir, « le renforcement de la sensibilisation et de la communication ainsi que les nouveaux chantiers induits par le norme ITIE à savoir, la divulgation des propriétaires réels des entreprises extractives avant le 1er janvier 2020, la mise en œuvre de la politique de données ouvertes et l’intégration de l’initiative dans le système national d’information du public ». Selon la Norme ITIE, les exigences portant sur les résultats et l’impact cherchent à assurer un engagement des parties prenantes dans un dialogue sur la gestion des revenus issus des ressources naturelles.
- L’absence de précisions sur la position du Secrétariat Permanent par rapport au Comité
De toute évidence, les pays mettant en œuvre l’ITIE et qui disposent de secrétariats nationaux ou structures similaires sont censés expliquer clairement dans les termes de référence du Groupe Multipartite (Comité) comment le secrétariat national devrait être positionné en relation au groupe multipartite. Dans le Décret du PM N° 2018/6026/PM du 17 juillet 2018, le Secrétariat Permanent ne figure pas comme un organe dans la section 1 intitulée « De l’organisation » du chapitre II intitulé « De l’organisation et du fonctionnement ». Cette omission est de nature à créer des confusions sur le rôle et la place du Secrétariat Permanent dès lors que le Décret ne renseigne pas clairement sur le positionnement du Secrétariat par rapport au Comité. Même si par des gymnastiques intellectuelles l’on peut faire des déductions à partir de la section II portant sur le fonctionnement du Comité, le fait de ne pas mentionner le Secrétariat Permanent comme un organe du Comité ne rend pas le Secrétariat Permanent suffisamment dépendant et responsable devant le Comité.
- Le manque d’information sur le statut des personnes travaillant au Secrétariat Permanent.
Il est important de relever que s’agissant de la rétribution du travail du personnel du Secrétariat Permanent, l’article 17 du Décret parle non pas de « salaire », mais d’« indemnité » mensuelle. Ce qui d’une part, soulève la question du statut véritable de cet organe et de ses membres, et d’autre part, sous-entend l’existence d’un salaire initial dûment perçu dans un autre cadre par ce personnel auquel il est simplement ajouté une indemnité. Ce qui semble curieux dans une structure de transparence à l’heure où les pouvoirs publics entendent assainir le fichier solde de l’Etat à travers le Comptage Physique des Personnels de l’Etat (COPPE). Cela pose aussi un préjudice pour le bon fonctionnement du processus ITIE dans la mesure où les conciliations récurrentes et les conclusions des validations successives ont toujours recommandé l’institution d’un Secrétariat Permanent à temps plein.
La mise à jour du Décret mettant en place le Comité ITIE en 2005 se voulait urgent. Plusieurs années se sont écoulées et un nouveau Décret a vu le jour. Seulement, avec les insuffisances ci-dessus relevées, il faut craindre que la session de rattrapage que va subir le Cameroun dans le processus de sa re validation, ne produise des surprises désagréables et dommageables pour la conformité du pays.
Dupleix Kuenzob
Secrétaire Exécutif, DMJ